Léon Escudier's Review of the Concert performed by Chopin on February 21, 1842.
("La France Musicale", February 27, 1842, pp. 81f.)

CONCERT DE M. CHOPIN.

Ce serait une curieuse histoire à faire que celle des concerts publics. Toutes les années, et à peu près à la même époque, vingt salles environ ouvrent leurs portes à deux battants, à la très grande satisfaction de ce qu'on veut bien appeler le monde musical. Un certain nombre de ces salles s'ouvrent seulement pour la forme, car c'est à peine si, dans un espace de cinq mois, on daigne les honorer de quelques chansonnettes ou de quelques contredanses. Une fois la saison musicale commencée, les musiciens arrivent comme des hirondelles ; on ne sait de quel pays ils reviennent. Les chanteurs sont toujours en avant, les pianistes suivent de près ; viennent ensuite les violonistes, puis les bassistes, puis les flûtistes, puis les clarinettistes, puis les cornistes, puis les contrebassistes, puis, puis enfin les instrumentistes de toute espèce, de tout âge et de tout sexe. C'est un tohu-bohu sans fin, une bataille de sons incroyable ; c'est de la fureur, de la /[p. 82] rage ; et tous ces malheureux artistes viennent dans cet Eldorado qu'on nomme Paris, dans un même but, avec une seule pensée : la pensée, c'est la gloire ; le but c'est la fortune. Hélas ! trois fois hélas ! combien d'entr'eux sont à plaindre ! Les concerts, à Paris, les concerts productifs sont bien rares,

Il en est jusqu'à cinq que l'on pourrait compter ;

et encore la position de ces bénéficiaires privilégiés n'est guère à envier. Pour arriver à leur fin, qui est toujours de donner un concert public, ils doivent passer tous les soirs, et pendant trois mois, sous les fourches caudines des amateurs de salon. Madame la comtesse D. ne paie pas ; mais, en revanche, elle prend cinq ou six billets de concerts. M. le marquis protège les artistes ; il les accueille comme ses enfants, et les prend une fois l'an au moins à sa table ; il craindrait de blesser leur amour-propre en déliant en leur honneur les cordons de sa bourse, et il accepte volontiers quelques billets de concert. Voilà ce qu'on appelle, en France, honorer la musique.
Il est cependant quelques exceptions rares, bien rare à la vérité, mais elles existent ; entr'autres Bertini, Chopin, Baillot par exemple, qui ne consentiraient jamais à jouer en public, s'ils devaient subir ces exigences du grand monde. Ceux-là aiment la gloire, et si la gloire ne venait les chercher, ils n'iraient pas au devant d'elle. Ces musiciens, aussi modestes que grands, sont fiers de leur talent et de leur indépendance ; ils ne sont au service de personne, et leur silence les élève d'autant que le bruit et la publicité écrase et abaisse les autres. Le chapitre de la vie des artistes n'est pas un des moins féconds pour l'historien qui s'en fera l'interprète, ni un des moins intéressants pour l'édification du public. Si nous ne l'écrivons pas maintenant, nous ne renonçons pas à l'écrire : c'est du concert de M. Chopin que nous devons entretenir aujourd'hui nos lecteurs.
Ceux qui ne connaissent pas le pianiste polonais ne sauraient, par un simple compte-rendu, se faire une idée de son talent exceptionnel ; ceux qui l'ont entendu et qui le connaissent n'ont pas besoin de nos éloges pour apprécier son mérite et son caractère. Ainsi donc, nous aurions vite fait en vous disant tout simplement que Chopin est un pianiste hors ligne, un pianiste comme il en existe peu ou comme il n'en existe pas ; mais notre devoir est de dire tout ce que nous pensons, et nous en dirons long sur le concert de M. Chopin si l'espace, le temps et nos lecteurs nous le permettaient.
Ainsi donc, Chopin a donné, dans la salle de M. Pleyel, une soirée charmante, une fête toute peuplée d'adorables sourires, de minois tendres et rosés, de petites mains blanches et modelées ; une fête magnifique, où la simplicité se mariait à la grâce et à l'élégance et où le bon goût servait de piédestal à la richesse. Ces vilains chapeaux noirs qui font à l'homme la plus désagréable figure qui soit possible, étaient en très petit nombre. Les rubans dorés, les gazes bleu tendre, les chapelets de perles tremblantes, les roses et les mignonnettes les plus fraîches, enfin mille bariolages des plus jolis et des plus gais s'assemblaient et se croisaient de toute façon sur les têtes parfumées et les épaules argentées des plus charmantes femmes que les salons princiers se disputent. Le premier succès de la séance a été pour madame Georges [sic. !] Sand. Dès qu'elle a paru avec ses deux charmantes filles, tous les regards se sont portés vers elle. D'autres auraient été ébranlés par tous ces yeux braqués comme autant d'étoiles ; mais Georges Sand se contentait de baisser la tête et de sourire. Pourquoi donc aussi s'aviser d'avoir une telle célébrité littéraire ?
Chopin a joué huit morceaux. Les compositions de cet artiste ont toutes entre elles une ressemblance parfaite de formes ; la pensée seule varie, et ce n'est pas une de leurs moins brillantes qualités. Poète et poète tendre avant tout, Chopin s'attache à faire dominer la poésie. Il fait de prodigieuses difficultés d'exécutions, mais jamais au détriment de sa mélodie, qui est toujours simple et originale. Suivez les mains du pianiste, et voyez avec quelle merveilleuse facilité il exécute les traits les plus gracieux, rapproche les distances du clavier, il passe du piano au forte et successivement du forte au piano ! Les magnifiques instruments de M. Pleyel se prêtent admirablement à ces diverses modifications. En écoutant tous ces sons, toutes ces nuances, qui se suivent, s'enchevêtrent, se séparent, se réunissent pour arriver à un même but, la mélodie, ne croyez-vous pas entendre de petites voix de fées qui soupirent sous des cloches d'argent, ou une pluie de perles qui tombent sur des tables de cristal ? Les doigts du pianiste semblent se multiplier à l'infini ; il ne paraît pas possible que deux mains seulement puissent produire des effets de rapidité aussi précis et aussi naturels. Ne demandez pas à Chopin de simuler avec le piano les grands effets d'orchestre. Ce genre d'exécution ne convient ni à son organisation ni à ses idées. Il veut vous étonner par sa rapidité légère, par ses masurkes [sic !] aux formes nouvelles, et non vous donner des attaques de nerfs et vous faire tomber en syncope. Son inspiration est toute de poésie tendre et naïve ; ne lui demandez pas de grands coups de doigts, des variations diaboliques ; il veut parler au cœur et non pas aux yeux ; il veut vous aimer et non vous dévorer. Voyez : le public est tombé en extase ; l'enthousiasme est à son comble : Chopin a atteint son but.
A cette soirée, délicieusement composée, ont concouru madame Pauline Garcia-Viardot et M. Franchomme. Madame Viardot a chanté avec une admirable expression, divers morceaux de Handel, un, entr'autres, qui renferme une des plus belles modulations connues dans le chant ; elle a été malheureuse dans un air italien de M. Dessauer. Aussi, pourquoi chercher à produire une musique aussi triviale ? Nous ne connaissons rien de plus tristement médriocre que cet air de M. Dessauer, si ce n'est les mélodies de M. Auguste Morel. Ces deux messieurs devraient se réunir, ils produiraient de la musique exécrable. M. Franchomme est un très grand artiste, comme chacun sait, nous pouvons même dire le premier violoncelliste que nous ayons à Paris. Celui-là, pour exciter le public, pour l'entraîner, n'emploie ni les roulements de prunelles, ni les effets de décoration, ni une affectation vers le sentiment et la rêverie. Il est presque invisible lorsqu'il se tient attaché à son instrument, et il se fait applaudir, applaudir encore, parce qu'il comprend et sait faire comprendre ce qu'il sent ; son exécution est pure, élevée ; telle, enfin, que doivent l'exiger les gens de bon goût et d'intelligence.
ESCUDIER.

MR CHOPIN'S CONCERT.

The story of public concerts would be a curious one indeed. Every year, and about the same time, approximately twenty rooms open their double doors to the great satisfaction of the so-called musical world. Some of those rooms open only as a mere matter of form, for it is already a lot if within five months somebody condescends to honour them with a few songs or contredanses. Once musical season has begun, musicians arrive like swallows; we do not know which country they come from. The singers are always ahead, the pianists follow closely; and after them the violinists, the bassists, the flutists, the clarinettists, the horn players, the double bassists, and then, then…, then, finally, the instrumentalists of all kinds, of all age and of all sex. It is an endless hubbub, an incredible battle of sounds. What a fury! What a row! And all those unfortunate artists come in the Eldorado we name Paris, with the same goal, with a sole thought: the thought is the glory; the goal is the fortune. Alas! Three times alas! How many of them are to be pitied! Concerts, in Paris, the performing ones, are quite rare:

There will probably be about five you could count;;

and yet the situation of these privileged beneficiaries is not to be envied at all. To reach their goal, which is always to give a public concert, every evening, and for three months, they have to be bitterly humiliated by the salons' habitués. Countess D. does not pay a cent; but, on the other hand, she buys five or six concert tickets. The Marquis protects the artists; he welcomes them as his children, and at least once in a year he allows them to sit dawn at his table; he would be afraid of injuring their self-esteem by loosening his purse strings in their honour, and then he accepts with pleasure some concert tickets. Here is what it is, in France, to honour the music.
There are however some rare exceptions, very rare indeed, but they exist: for example, Bertini, Chopin, Baillot, who would never agree to play in public, if they were to undergo such a demands of high society. Those aspire to glory, and if the glory would not seek them, they could not meet it. These musicians, so modest as great, are proud of their own talent and independence; they serve nobody, and their silence elevates them as far as rumour and advertising crush and lower the others. The chapter on the life of an artist is not so unfruitful for the historian, who is going to tell it, and not so uninteresting for people education. Even if we do not write it now, we do not give up doing it. Well, it is about Mr Chopin's concert that we have to speak to our readers today.
Those who do not know the Polish pianist could not get an idea, by a simple report, of his exceptional talent. Those who have heard him and are acquainted with him do not need our praise to appreciate his merit and characteristic. Therefore, it would have been easy to say quite simply that Chopin is an outstanding pianist, whom few can equal, or even a pianist whose the like does not exist. But our duty is to speak our mind, so we are saying about Mr Chopin's concert at length, as long as space, time, and our readers let me do it.
So, Chopin has given in Pleyel's hall a delightful evening, a fête peopled with adorable smiles, delicate and rosy faces, small and well-formed white hands; a magnificent fête, where simplicity was combined with grace and elegance, and where good taste served as a pedestal to wealth. Those ugly black hats, which give to men the most unsightly appearance possible, were very few in number. The gilded ribbons, the delicate blue gauze, the chaplets of trembling pearls, the freshest roses and mignonettes, in short, a thousand medleys of the prettiest and gayest colours were assembled, and intersected each other in all sorts of ways on the perfumed heads and snowy shoulders of the most charming women for whom the princely salons contend. The first success of the evening was for Madame George Sand. As soon as she appeared with her two charming daughters, she was the observed of all observers. Others would have been disturbed by all those eyes turned on her like so many stars; but George Sand contented herself with lowering her head and smiling. Why should she ever show off to have such a literary celebrity?
Chopin played eight pieces. The compositions of this artist resemble perfectly each other in form; only the thought varies, and this is not one of their less brilliant qualities. Chopin, who is not a simple poet but above all a tender one, is devoted to rule of poetry. He overcomes prodigiously what is difficult to perform, but never to the detriment of the melody, which is always simple and original. Try to follow the pianist's hands, and you will see with what a wonderful ease he executes the most graceful passages, bridges the distances of the keyboard, and turns from piano to forte and back again! The splendid instruments of Mr Pleyel lend themselves admirably to these diverse modifications. By listening to all those sounds, all those nuances, which follow one after the other, interlace, separate, come together again to achieve the same goal, i.e. the melody, do not you believe you are hearing faint voices of fairies sighing under silver bells, or a shower of pearls falling on crystal tables? The fingers of the pianist seem to multiply ad infinitum; it does not seem possible that two hands alone could produce effects of speed as accurate as natural. Do not ask Chopin to simulate on the piano the massive sounds of the orchestra. This kind of execution does not suit either his constitution or his conception. He wants to amaze you by his light speed, by his mazurkas conceived in new forms, and does not want to give you a fit of nerves and make you faint owing to a heart attack. His inspiration is all poetry, tender and naïve. Do not ask him a powerful banging of fingers and devilish variations; he wants to speak to your heart and not to your eyes; he wants to love you and not to devour you. So, the public went into raptures, carried away by enthusiasm. Chopin has attained his aim.
To this delightfully planned evening, Madame Pauline Garcia-Viardot and Mr Franchomme made their own contribution. Madame Viardot sang several Handel's pieces with admirable expression, including an aria, which contains one of the most beautiful modulations ever written for the voice. Unfortunately she was unsuccessful in a Mr Dessauer's Italian aria. So, why should one try to perform such a trivial music? Apart from Mr. Auguste Morel's melodies, we know nothing more sadly mediocre than this Mr Dessauer's aria. These two Sirs should go into partnership, so they would produce abominable music. Mr Franchomme is a great artist, as everyone knows; we can even say he is the best cellist we have in Paris. To impress and win the public, he does not need to roll his eyes, and does not resort to ostentatious effects or sentimental and dreamy affectation. You can hardly see him behind his instrument, but the audience applauds him again and again, because he understands his feelings and knows the way to express them. His performance is as pure and noble as people of good taste and intelligence have to require.

ESCUDIER.

[All rights reserved © Franco Luigi Viero]

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