Léon Escudier's Review of the Concert performed by Chopin on April 26, 1841.
("La France Musicale", May 2, 1841, pp. 155f.)

CONCERT DE M. CHOPIN.

Il y a des hommes dont le cœur se trouve mal à l'aise au milieu du bruit ; ils naissent pour la solitude et la rêverie, comme naissent, pour les ombrages frais et les chants de la fauvette, les sources miroitantes de la rosée. Voyez Schubert dont l'existence si courte s'est passée à pleurer loin du monde des hymnes d'amour et de douleur : le scintillement des lumières lui brûlait les yeux ; l'agitation de la foule lui étreignait le cœur et l'empêchait de respirer ; les applaudissements et les cris lui donnaient des vertiges et faisaient cesser en son âme le murmure des tendres et suaves mélodies. Eh mon Dieu, Schubert n'en exprimait pas moins toutes les passions qui agitent le monde ; qui donc mieux que ce rêveur sublime a compris les angoisses de l'amour ? Les poètes sont ainsi faits. Ils voient tout sans être présents a rien ; ils décrivent tout, et ils n'ont rien vu ; leur imagination seule est le miroir à travers lequel ils jugent l'humanité ; l'imagination s'élève, s'enthousiasme par la /[p. 156] réflexion, et où peut on réfléchir, si ce n'est dans le calme et la solitude ? Les poètes ne s'occupent jamais de se qui s'agite à leur entour ; ils livrent leurs pensées au monde, comme les arbres livrent leurs fleures au vent et il arrive qu'au bout de dix ans, d'un demi-siècle, d'un siècle quelquefois, on ramasse quelques feuillets égarés ou méconnus, et alors on brûle de l'encens en l'honneur d'un malheureux homme de génie qu'on a laissé mourir de privations et de souffrances. Ainsi a été Schubert. Certes, celui-là n'a jamais cherché la popularité ; c'est la popularité qui est venue à lui. Si Schubert vivait encore, peut-être ne lui tiendrait-on aucun compte de la Religieuse, de l'Ave Maria, de la Sérénade, du Roi des Aulnes, de la Berceuse, des Astres, de la Jeune Fille et la Mort, de la Joueuse de Vielle, Sans toi, du Départ, et de tant d'autres petits drames lyriques qui respirent tous un caractère indéfinissable de mélancolie, de tendresse et de résignation.
Nous avons parIé de Schubert parce qu'il n'est pas une autre nature qui ait avec Chopin une analogie plus complète. L'un a fait pour le piano ce que l'autre a fait pour la voix ; mais tous les deux ont puisé à la même source leurs inspirations aussi variées, que suaves, mélancoliques, et passionnées ; tous les deux ont un caractère semblable. Ecoutez Chopin et vous comprendrez bien vite qu'il n'a fait aucun sacrifice à la mode, qu'il ne s'est pas prosterné devant les caprices du mauvais goût pour arriver à la fortune et à la renommée. Cet artiste, ce poète, a marché au rebours de tous les talents excentriques qui, depuis quinze ou vingt ans, font tous les efforts imaginables pour devenir populaires ; il a fui le grand air ; il a mieux aimé une existence fragile, sans éclat, sans lutte, sans passion. Pendant que tant d'autres artistes livraient leurs noms au vent de la publicité, lui rêvait en silence, demandant à son cœur des pensées de jeunesse et d'amour, des formes belles et caressantes. La poésie est une si noble compagne dans l'isolement !
Chopin avait peur du bruit ; il n'osait pas se montrer devant une assemblée nombreuse dont il n'était pas sûr d'être compris, comme il craignait l'effet de ses applaudissements. Que d'efforts, que de luttes il a du s'engager entre sa tête et son cœur avant de se résoudre à affronter les regards des ses juges, non… de ses admirateurs. L'artiste, le poète plutôt, a cédé enfin ; il s'est montré, on l'a entendu et on l'a applaudi, tant applaudi que depuis près de huit jours il ne sait plus ce qu'il a fait, ce qu'il a vu, ce qu'il a entendu.
Chopin est un pianiste de conviction. Il compose pour lui, il exécute pour lui ; ce qu'il exécute et ce qu'il compose, tout le monde l'écoute avec un intérêt, un charme, un plaisir infinis. Ne cherchez pas sous ses doigts de ces grands effets qui vous étonnent, de ces tours de force qui ébranlent votre tête. Chopin ne veut pas de ce genre bruyant dont tout le mérite consiste à surpasser, sur le piano, les cris les plus aigus de l'orchestre. Mais aussi, écoutez comme il rêve, comme il pleure, comme il chante avec douceur, tendresse et mélancolie ; comme il exprime parfaitement tous les sentiments les plus tendres et les plus élevés. Chopin est le pianiste du sentiment par excellence.
On peut dire que Chopin est le créateur d'une école de piano et d'une école de composition. Rien en vérité n'égale la légèreté, la douceur avec laquelle l'artiste prélude sur le piano ; rien encore ne peut être mis en parallèle avec ses œuvres pleins d'originalité, de distinction et de grâce. Chopin est un pianiste à part qui ne doit et ne peut être comparé à personne. L'andante et le scherzo qu'il a exécutés dans son concert, sont deux morceaux d'un beau style. Les mélodies en sont fraîches et très distinguées. Le scherzo surtout, d'une élégante simplicité, est plein de verve et d'entrain ; ses études ne sont pas moins remarquables ; le public on a fait répéter trois, et le public a eu raison. Mais ce qui a excité le plus vif enthousiasme, ce sont la ballade, une mazurke et une polonaise qui ont terminé la soirée. Ces trois délicieuses compositions, les dernières que Chopin a publiées, sont trois chefs-d'œuvre, qui deviendront populaires sur le piano, comme les plus belles mélodies de Schubert.
Il serait injuste de ne pas mentionner quatre préludes qui ont aussi obtenu un beau succès.
Le concert était une fête où assistaient l'aristocratie du talent et l'aristocratie de la fortune. Deux artistes, dont les noms seuls auraient suffi pour attirer une foule brillante dans les brillants salons de M.Pleyel, s'étaient réunis à M. Chopin. Mme Damoreau et M. Ernst figuraient sur le programme. Mme Damoreau a chanté d'une façon ravissante (comme seule elle sait chanter), deux airs du dernier opéra de M. Ad. Adam, la Rose de Péronne. La musique et la cantatrice ont été couverts d'applaudissements. Ces airs sont en vogue dans les salons ; avec un patronage comme celui de Mme Damoreau, leur vogue ne peut que s'accroître.
M. Ernst a joué son Élégie. Celui-là encore est un artiste-poète qui vous émeut et vous charme sans grincements, sans efforts ; il a des mélodies à lui ; il chante sans exagération ; peut-être s'abandonne-t il avec trop d'effusion à la mélancolie ; mais au moins, il a un caractère original et bien tranché. Si vous voulez entendre pleurer sur le violon, écoutez Ernst ; il tire des sons si déchirants, si passionnés, que vous craignez à tout instant de voir son instrument se briser entre ses mains. Il est difficile de pousser plus loin l'expression de la tristesse, de la souffrance et du désespoir.
ESCUDIER.

CONCERT OF MR CHOPIN.

There are men who feel ill at ease in the middle of the noise; they are born for the loneliness and reverie, as they are born for the fresh shading, the warbler's songs, and the dew's shimmering sources. Look at Schubert: he spent his too short life crying his eyes far from the world through songs of both love and sorrow. The glare of lights burned his eyes; the bustle of the crowd gripped his heart and prevented him from breathing; applauses and cheers made him feel dizzy and stopped the murmur of tender and sweet melodies in his soul. My goodness! Schubert did not express less deeply all the passions, which agitate the world. Then, who has understood the pains of love better than this sublime dreamer? That is the way the poets are. They see everything, but they are present at nothing; they describe everything, but they did not see anything. Their only imagination is the mirror through which they judge humanity; their imagination rises and gets carried away by thinking over: so, how can they think over if calm and solitude do not surround them? The poets never concern themselves with what happens all around. They release their thoughts to the world like the trees release their flowers to the wind, and sometimes it happens that after ten years or half a century, at times a century, one picks up few pages lost or unknown. Then, they burn some incense in honour of an unhappy man of genius who was been allowed to die of hardships and sufferings. Thus was Schubert. Certainly, he never sought popularity; it is the popularity that came to him. If Schubert were still alive, perhaps nobody would think highly of him for la Religieuse [Die Nonne], l'Ave Maria, la Serenade [Ständchen], le Roi des Aulnes [Erlkönig], la Berceuse [Wiegenlied], Stars [Die Gestirne], la Jeune Fille et la Mort [Der Tod und das Mädchen], la Joueuse de Vielle, Without you [Sehnsucht], du Départ [Abschied], and for many other small lyric dramas, which all exude a character of indefinable melancholy, tenderness and resignation.

We have spoken of Schubert, because there is not another nature, which is so similar to Chopin. The latter has done for the piano what the former did for the voice. Both have drawn their varied, soft, melancholy, and passionate inspirations on the same source. Both resemble each other. Listen to Chopin, and you will quickly understand that he did not yield to fashion at all; he did not bow to vagaries of bad taste to achieve fame and fortune. This artist, this poet went on in the opposite direction in comparison with all the eccentric talents, who since fifteen or twenty years try their utmost to become popular. He fled publicity and preferred a fragile existence without glare, fight, and passion. While many other artists delivered their names to the wind of publicity, he dreamed in silence, asking his heart thoughts of youth and love, beautiful and caressing forms. Poetry is such a noble companion in solitude!

Chopin did not stand the noise. He did not feel up to presenting himself before a large audience if he was not sure of being understood, as he feared the effect of its applause. What strain, what struggle, he had to bear in his mind and heart before resolving to face the gaze of his judges, no… of his admirers. The artist, or rather the poet, has given in at last: he appeared, was heard and applauded, so much applauded, so that, after nearly eight days, he does not remember any more what he did, which he saw, and what he heard.

Chopin is a pianist of conviction. What he performs and composes everyone listens to with interest, charm, and infinite pleasure. Do not ask Chopin's fingers for those great effects, which surprise you, those amazing feats, which shake your head. Chopin does not care for that noisy kind of performance, whose only merit consists in exceeding with the piano the acutest cries of the orchestra. Therefore, listen to how he dreams, how he weeps, how he sings with softness, tenderness, and melancholy; listen to how he expresses to perfection all the tenderest feelings and the highest ones too. Chopin is the pianist of felling par excellence.

One can say that Chopin is the creator of a school of piano and a school of composition. Nothing indeed can equal the lightness, the softness with which the artist preludes on the piano, and nothing can be compared with his works full of originality, distinction and grace. Chopin is a pianist apart, who should not to and cannot be compared to anyone. The Andante and the Scherzo he played in his concert are two pieces of a beautiful style; their melodies are fresh and very distinguished, especially the Scherzo unites refinement and simplicity, and it is full of verve and spirit. His Etudes are no less remarkable; the audience made him repeat three of them, and the audience was right. But the pieces, which excited the greatest enthusiasm, were the Ballade, a Mazurka, and a Polonaise, which ended the evening. These three delightful compositions, the latest that Chopin has published, are three masterpieces, which will become popular for the piano, like the most beautiful Schubert's melodies.

It would be unfair not to mention four preludes, which were quite successful too.

The concert was a festive evening attended by an aristocracy of talent and of wealth. Two artists, whose names alone would have been enough to attract a brilliant crowd in the brilliant Salons of Mr Pleyel, joined Mr. Chopin. Mme Damoreau and Mr Ernst appeared on the program. Madame Damoreau sang in a ravishing manner—as only she can do—two arias from Mr Ad. Adam's last opera, i.e. the Rose de Péronne. Both the music and the singer were showered with applause. Thanks to the contribution of Mme Damoreau these arias, which are just in vogue now, will become more and more popular.

Mr Ernst played his Elegy. He too is an artist-poet who moves you and charms you without screeching, without effort. He sings in his own way and without forcing. Perhaps, he gives himself up to melancholy too effusively, but at least he has got an original and clear-cut character. If you want to hear a violin weep, listen to Ernst: he gets so heartbreaking and passionate sounds, that at any moment you fear you see his instrument could shatter in his hands. It would be difficult to heighten further such an expression of sorrow, suffering and despair.

ESCUDIER.

[All rights reserved © Franco Luigi Viero]

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