Hector Berlioz, Obituary of Chopin.
("Journal des Débats", on Saturday, October 27, 1849, p. 2.)
In these few lines Berlioz manages to portray Chopin's personality and his exceptional piano skills as no biography has managed to do, starting with the one written by Liszt...
Farewell.

MORT DE CHOPIN.

Après une longue et terrible agonie, Chopin vient de mourir. Nous n'emploierons pas à son sujet la formule ordinaire en disant que sa mort est une perte pour l'art. Hélas ! Chopin était perdu pour la musique depuis assez longtemps. Sa faiblesse et ses douleurs étaient devenues telles, qu'il ne pouvait plus ni se faire entendre sur le piano ni composer ; la moindre conversation même le fatiguait d'une manière alarmante. Il cherchait en général à se faire comprendre autant que possible par signes. De là l'espèce d'isolement dans lequel il a voulu passer les derniers mois de sa vie, isolement que beaucoup de gens ont mal interprété et attribué, les uns à une fierté dédaigneuse, les autres à une humeur noire, aussi loin l'une que l'autre du caractère de ce charmant et excellent artiste. Loin d'être morose, Chopin, aux temps où ses souffrances étaient encore tolérables, se montrait d'une bonhomie malicieuse qui donnait un irrésistible attrait aux relations que ses amis avaient avec lui. Il apportait dans la conversation cette humour qui fit le charme principal et le caractère essentiel de son rare talent.
Ses compositions pour le piano ont fait école. La grâce la plus originale, l'imprévu du tour mélodique, la hardiesse des harmonies et l'indépendance de l'ac­cent rythmique s'y trouvent réunis à un système entier d'ornementation dont il fut l'inventeur et qui est resté inimitable. Ses études pour le piano sont des chefs-d'œuvre où se retrouvent concentrées les quali­tés éminentes dé sa manière et ses plus rayonnantes inspirations. Nous les placerons même au-dessus de ses célèbres mazurkas qui, dès leur apparition, valurent à Chopin un succès passionné auprès des femmes surtout, et le rendirent le favori de tous les salons aristocratiques de l'Europe. Ce luxe de mélodies exquises, leur allure à la fois fière et souriante, leur dédain de tout entourage vulgaire, leur passion contenue ou concentrée, leurs divines chatte­ries, leur retentissement pompeux, ont en effet une sorte d'affinité avec les mœurs du monde élégant pour lequel elles semblent faites. Aussi Chopin, malgré son magnifique talent d'exécution, n'était-il pas l'homme de la foule, le virtuose des grandes salles et des grands concerts. Il avait renoncé à ces tumultes depuis longtemps. Un petit cercle d'auditeurs choisis, chez les­quels il pouvait croire à un désir réel de l'entendre, pouvait seul le déterminait à s'approcher du plano. Que d'émotions alors il savait faire naître! En quelles ardentes et mélancoliques rêveries il aimait à répan­dre son âme! C'était vers minuit d'ordinaire qu'il se livrait avec le plus d'abandon ; quand les gros papil­lons du salon étaient partis, quand la question politique à l'ordre du jour avait été longuement traitée, quand tous les médisants étaient à bout de leurs anec­dotes, quand tous les piéges étaient tendus, toutes les perfidies consommées, quand on était bien las de la prose, alors obéissant à la prière muette de quel­ques beaux yeux intelligents, il devenait poète, et chantait les amours ossianiques des héros de ses rêves, leurs joies chevaleresques, et les douleurs de la patrie absente, sa chère Pologne toujours prête à vaincre et toujours abattue. Mais hors de ces conditions, que tout artiste doit lui savoir gré d'avoir exigées pour se produire, il était inutile de le solliciter. La curiosité excitée par sa renommée semblait même l'irriter, et il se dérobait le plus tôt possible à un monde non sympathique quand le hasard l'y avait fait s'égarer. Je me rappelle un mot sanglant qu'il décocha un soir au maître d'une maison où il avait dîné. A peine avait-on pris le café, l'amphitryon, s'approchant de Chopin, vint lui dire que ses convives, qui ne l'avaient jamais entendu, espéraient qu'il voudrait bien se mettre au piano et jouer quelque petite chose. Chopin s'en défendit dès l'abord de manière à ne pas laisser le moindre doute sur ses dispositions. Mais l'autre insistant d'une façon presque bles­sante, en homme qui sait la valeur et le but du dîner qu'il vient de donner, l'artiste coupa court à la discus­sion en lui disant de sa voix faible et interrompue par un accès de toux : « Ah! Monsieur … j'ai... si peu mangé !…»
Malgré le produit considérable de ses œuvres et des leçons qu'il donnait, Chopin ne laisse pas de fortune ; les malheureux Polonais que l'exil a tant de fois amenés à sa porte savent où cette fortune a passé. Au der­nier instant, la constante admiration de Chopin pour Mozart lui a fait désirer que l'immortel Requiem fût exécuté à ses funérailles. Son digne élève, M. Gutmann, a recueilli ce vœu avec son dernier soupir. Aussitôt toutes les démarches nécessaires ont été faites ; grâce à l'intervention active de M. l'abbé Deguerry, M. l'archevêque a levé l'interdiction qui rendait im­possible l'exécution du Requiem de Mozart ; les choris­tes femmes pourront en conséquence figurer dans cette cérémonie, qui aura lieu dans l'église de la Ma­deleine mardi prochain.

H. BERLIOZ.

Farewell.

DEATH OF CHOPIN.

After a long and terrible agony, Chopin has just died. We will not use the ordinary formula about him by saying that his death is a loss for art. Alas! Chopin had been lost to music for a long time. His weakness and pain had become such that he could no longer sit at the piano either to be heard or to compose. Even the slightest conversation made him alarmingly wearied. He generally sought to make himself understood as much as possible by gestures. Hence, the kind of isolation in which he wanted to spend the last months of his life; isolation that many people have misinterpreted and attributed, some to disdainful pride, others to a dark mood, both so far from the character of this charming and excellent artist. Far from being sullen, Chopin, at a time when his suffering was still tolerable, displayed a witty bonhomie, which gave an irresistible attraction to the relationships his friends had with him. He brought into the conversation that humour that made the main charm and essential character of his rare talent.
His compositions for piano have been a success. The most original grace, the unpredictable melodic proceeding, the daring of the harmonies and the independence of the rhythmic accent are joined together with an entire system of ornamentation of which he was the inventor and which has remained inimitable. His Etudes for piano are masterpieces in which the eminent qualities of his manner and his most radiant inspirations are concentrated. We will even place them above his famous Mazurkas, which, as soon as they appeared, earned Chopin a passionate success among the fair sex in particular, and made him the favourite in all aristocratic salons in Europe. This luxury of exquisite melodies, their proud and smiling appearance, their disdain for any vulgar entourage, their contained or concentrated passion, their divine wheedling, their sumptuous echoing, indeed have a kind of affinity with the habits of the elegant world for which they seem made. So Chopin, despite his magnificent talent for execution, was not the man of the crowd, the virtuoso of great venues and great concerts. He had renounced these tumults long ago. Only a small circle of selected listeners, among whom he could believe in a real desire to hear him, could determine him to approach the piano. So many emotions, then, he knew how to arouse! In what ardent and melancholic dreams he loved to spread his soul! It was usually around midnight that he gave himself up with the most abandonment; when the burly fops in the living room had left, when the political issue on the agenda had been discussed at length, when all the slanders were at the end of their anecdotes, when all the snares had been laid, all the perfidies consumed, when we were tired of talk, then obeying the silent prayer of a few beautiful intelligent eyes, he became a poet, and sang the Ossianic loves of the heroes of his dreams, their chivalrous joys, and the pains of the absent homeland, his dear Poland always ready to win and always down. But outside these conditions, which every artist must be grateful to him for having demanded to perform, it was useless to solicit him. Curiosity aroused by his fame even seemed to irritate him, and he escaped as soon as possible from an unsympathetic world when chance had led him astray. I remember a biting word he shot one evening at the master of a house where he had dined. As soon as we had had coffee, the host, approaching Chopin, came to tell him that his guests, who had never heard him, hoped that he would like to sit at the piano and play something small. Chopin defended himself from the outset in such a way as to leave no doubt about his dispositions. But the other insisting in an almost hurtful way, as a man who knows the value and purpose of the dinner he has just given, the artist cut short the discussion by saying in his weak voice and interrupted by an attack of coughing: "Ah! Mr... I have... so little eaten!...”
Despite the considerable profit deriving from his works and the lessons he gave, Chopin left no fortune; the unfortunate Poles who were brought to his door so many times by exile know where that fortune has gone. At the last moment, Chopin's constant admiration for Mozart made him want the immortal “Requiem” to be performed at his funeral. His worthy student, Mr. Gutmann, took this wish with his last breath. Immediately all the necessary steps have been taken. Thanks to the active intervention of Father Deguerry, the Archbishop has lifted the ban that would have made it impossible to execute Mozart's “Requiem”; the female choir members will be therefore allowed to attend this ceremony, which will take place in the Church of the Madeleine next Tuesday.

H. BERLIOZ.



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